Indian Coffee House : une promenade dans le passé

23 Feb 2018

Par Balu Iyer, Directeur régional, ACI Asie-Pacifique

Alors que nous approchions d'un carrefour dans la ville de Parassinikadavu, mon regard s’est porté vers la droite et j'ai remarqué un immeuble de quatre étages de couleur blanche et son grand panneau : Indian Coffee House (ICH) et, plus bas, Indian Coffee, coopérative de travail associé. Pour avoir passé des heures à siroter un café pendant mes années de collège dans les Indian Coffee House de Delhi, Bangalore, Jabalpur et de Kolkatta, je ne voulais pas manquer l'occasion de revivre cette expérience et j'ai demandé à mon hôte de faire demi-tour.

 

Nous étions à Kannur pour participer au 8e Congrès coopératif du Kerala du 10 au 12 février 2018. Le Congrès, dont le slogan était « En avant avec la diversité » voulait examiner l'état des coopératives et formuler une politique coopérative tournée vers l'avenir pour répondre aux besoins en fonction de l'évolution des temps. Il était réconfortant de voir plus de 3000 délégués assister à des discours, à des présentations et à des discussions et donner leur point de vue sur le projet de recommandations politiques. Le secteur coopératif du Kerala sut résister à l'impact négatif de la démonétisation, en restant uni, en ralliant des membres et en transcendant les frontières politiques. Les rues étaient bordées de milliers de vieux drapeaux arc-en-ciel; le secrétaire et le greffier ont été surpris d'apprendre que le drapeau avait été changé en couleur prune avec l'emblème COOP.

À l’entrée de l’India Coffee House de Kannur (Kannur ICH) trône un buste du Camarade Ayilliath Kuttiari Gopalan, plus connu sous l’acronyme d’AKG, un leader du Parti communiste de l'Inde (marxiste) et du mouvement démocratique de gauche du pays. Sur le piédestal sont fixées quatre plaques gravées de citations d’AKG, deux sont rédigées en malayalam et deux en anglais. Sur les plaques anglaises on peut lire : « Coffee House devrait toujours aspirer à marcher à l'avance » et « Vous êtes fondamentalement des travailleurs qui peuvent façonner un monde nouveau, le diriger et le gouverner. Vous pouvez gérer seuls des cafés et prospérer sans la participation des capitalistes ».

 

La chaîne originale des Coffee House en Inde a été créée en 1936 à Bombay par le Comité du Café Cess. Dans les années 1940, ils étaient 50 dans toute l'Inde britannique. En raison d'un changement de politique au milieu des années 1950, le Conseil a décidé de fermer les Coffee House et de licencier les travailleurs. Sous l'impulsion d'AKG, les anciens travailleurs du Comité du café ont entamé un mouvement et l’ont obligé à accepter de leur remettre les points de vente. Les travailleurs créèrent la « Coopérative des travailleurs du café indien » et renommèrent le réseau « Indian Coffee House » (le Café indien dirigé par le Comité du café existe encore). La première entreprise a été constituée à Bangalore en août 1957, puis à Delhi, à travers le pays ensuite. La Fédération des sociétés coopératives de travail associé de l'industrie du café en Inde a été créée en 1960. Pour plus d'informations : http://www.worldlibrary.org/articles/indian_coffee_house)

Au Kerala, il existe deux sociétés de café (anciennes zones Malabar et Travancore-Cochin) qui ont été créées en 1958. La société Kannur (ancienne Malabar) compte aujourd'hui 625 employés, tous parties prenantes. Le Comité de gestion se compose de 10 membres, dont un des Sympathizers (un sur les 12), les 9 autres sont des travailleurs; il n'y a pas de représentation gouvernementale. Les serveurs reçoivent deux à trois paires d’uniformes par an; contribuent au fonds de prévoyance qui correspond à la coopérative et touchent un dividende en fonction de leur capital social (25 % du dividende est statutaire), ils sont couverts par des régimes d'assurance et d'indemnités en cas d'accident et jouissent de nombreux autres avantages. La plupart d'entre eux sont membres de la Coopérative de crédit des travailleurs coopératifs où ils peuvent bénéficier de prêts personnels.

 

On a beaucoup écrit sur les Indian Coffee House. Google regorge de titres accrocheurs : tels que : «When Indian Coffee House was the country’s living room », « Indian Coffee House – The Ambience is Free ». Dans son livre, « Les Frères Bihari » l’écrivain Sankarshan Thakur, écrit, « C’est à l’Indian Coffee House que j’ai entendu pour la première fois des mots comme Führer et fascisme, des mots comme prolétariat et bourgeoisie, comme Komintern et OTAN et sarvahara, samajvaad, Satta, samrajyavaad et taanashahi ». Une campagne de financement menée sur Kickstarter pour Stuart Freedman’s photobook - The Palaces of Memory – Tales from the Indian Coffee Houses a rassemblé 157 bailleurs de fonds qui se sont engagés pour 10496 £ afin d’aider à donner vie au projet. Avec 76 points de vente, le Kerala a le plus grand nombre d’ICH du pays. Selon l’écrivain Vaishna Roy, « Sa popularité permanente au Kerala est sans surprise, surtout si nous voyons l'institution elle-même comme une remanence d'un idéal socialiste où tout le monde mangeait à la même table et où tout le monde participait aux débats ».

 

J'étais enthousiaste à l'idée d'entrer dans l’ICH de Kannur. Alors que le décor était légèrement moderne, les serveurs étaient encore dans leur robe blanche amidonnée de l'ère britannique avec des coiffures de style paon et le menu typique à l'endroit. Le café qu'on nous a servi était à peine passable; mais qu’importe, j'étais là plus pour me replonger dans l’ambiance et me souvenir. Avec l'apparition de Starbucks, le Jour du Café, Baristas et une foule d'autres options, les ICH ne peuvent pas compter sur la nostalgie, leurs établissements délabrés (le charme du temps jadis ne suffit pas pour vous y retenir) et leurs vieux et fidèles clients. Ils devront se reconnecter avec la jeune génération. Ce qui importe pour eux c’est le modèle – à une époque où les jeunes sont accueillis dans des start-ups, les travailleurs des ICH peuvent prouver que même des serveurs de café sont capables d’être des propriétaires qui grandissent et profitent à mesure que leur entreprise se développe.

 

Kannur compte beaucoup d'autres repères coopératifs. Pour n'en nommer que quelques-uns : Kerala Dinesh Beedi Workers' Central Co-op Society a su surmonter sa crise existentielle (quand l'usage du tabac a perdu de sa popularité), s'est diversifiée et s'est réanimée ; Vismaya Water Theme Park, géré par la Malabar Tourism Development Cooperative Limited, le seul et unique parc thématique aquatique en Inde promu par une société coopérative; et les hôpitaux coopératifs - AKG Cooperative Hospital, Indira Gandhi Cooperative Hospital et Payyanur Co-Operative Hospital.

 

Une initiative récente est le rassemblement de 15 sociétés coopératives de tisserands qui ont mis en ligne sur la plateforme Amazon plus de 500 produits sous le nom de marque CannLoom (inventé à partir de Cannanore handloom). J'ai quitté Kannur avec un sentiment très positif – le taux de participation et la participation des 3000 délégués au congrès coopératif, les initiatives des coopératives pour se réinventer et se développer, les relations de travail avec le gouvernement et les progrès dans les domaines de la santé et de l’e-commerce. Les deux journées ont également montré à quel point le modèle coopératif en Inde pouvait être différent si les membres des coopératives s’impliquaient et s’engageaient et si les dirigeants se préoccupaient des entreprises coopératives.

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