Interview à aroundtheworld.coop: « Les commentaires des gens impliqués nous ont fait comprendre que nous en faisions davantage qu’une simple vidéo participative »

26 Jan 2021

Le voyage à travers le monde d’aroundtheworld.coop est arrivé à sa dernière escale (Pologne) et tous les films documentaires de la série sont désormais sortis (vous pouvez les regarder films ici).

Nous discutons avec les réalisateurs de cette série de films documentaires, Sara Vicari et Andrea Mancori, de la méthode de tournage, de leur expérience vécue auprès des coopérateurs aux quatre coins du monde et des éléments clés qui font de ce recueil d’histoires sur les coopératives un voyage exaltant et éducatif pour découvrir le pouvoir du changement à travers l’action collective.

Aroundtheworld.coop a documenté au total 13 histoires de coopératives dans différentes régions du monde et les secteurs les plus divers. Ce que toutes ces coopératives ont en commun, c’est la capacité à promouvoir la durabilité sociale, économique et environnementale à travers l’innovation et l’engagement sans réserve de leurs membres.

Votre processus de travail repose sur votre propre expérience dans le secteur audiovisuel (Andrea) et dans le domaine de la recherche (Sara). Dans quelle mesure celle-ci a-t-elle contribué à l’élaboration du projet ?

Sara : Cette méthodologie [qui repose sur ces deux domaines d’expertise professionnelle] est la valeur ajoutée de ce projet. Elle va au-delà de la démarche d’un chercheur ou d’un réalisateur sur le terrain, on peut dire qu’elle est innovante de part et d’autre. En tant que chercheur, je me suis engagée à participer au débat scientifique et à documenter les bonnes pratiques. Il importe pour tous les chercheurs de diffuser les connaissances et de les laisser circuler. Mais le format d’un publication scientifique l’empêche généralement de circuler au-delà du milieu universitaire. Grâce aux vidéos, nous souhaitons toucher un plus large public et communiquer différemment. Nous souhaitons également communiquer l’aspect émotionnel. On pourrait par exemple en savoir davantage sur la motivation, mais lorsqu’elle voit le regard des gens prennant part à une action collective en les regardant dans un film, son niveau d’engagement peut varier, tout comme son niveau de compréhension.

Andrea : Sur le plan audiovisuel, aller sur le terrain sans scénario a posé des difficultés. Dans des projets antérieurs, je préparais un scénario avec mon équipe avant d’aller sur le terrain. Nous avons décidé avec Sara de relever le défi fantastique de nous en passer.

S : Lorsque vous réalisez un documentaire à partir du scénario, les messages que vous allez véhiculer sont décidés à l’avance. Dans notre projet, nous voulions que le message vienne des coopérateurs. Associer la recherche à la réalisation de films me semble apporter une valeur ajoutée importante : ce sont les gens qui décident totalement du contenu.

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Comment s’est déroulé le processus de conception de toute pièce du scénario avec la participation des coopérateurs ?

A : Nous avons réalisé nos premiers travaux sur le terrain à Castel Volturno (Italie) durant l’été 2018. Après avoir passé quelques jours avec eux et écouté leurs histoires, Sara et moi avons convenu qu’il n’était pas possible de travailler avec un scénario si notre but était de diffuser les exemples innovants d’impact positif par la voix des coopérateurs. Notre objectif n’aurait pas été cohérent avec un scénario prédéfini. Et donc, c’est ainsi que nous avons décidé de passer plus de temps avec les gens sur place, afin de partager leurs histoires et leurs expériences, et d’en faire un montage vidéo.

S : C’est pourquoi notre travail prend énormément de temps. Nous avons débuté par une discussion de groupe, au cours de laquelle les coopérateurs présentent leurs points de vue et leurs idées. Puis, nous créons ensemble une sorte de carte mentale qui présente leur histoire avec une approche narrative. Nous pensons qu’il s’agit là du moment de connexion. Dès lors, le tableau à feuilles mobiles constitue notre scénario.

En fait, on peut voir ces tableaux à feuilles mobiles dans la vidéo concernant votre méthodologie qui se trouve sur votre site web. En visionnant cette vidéo, je me disais à quel point il est important pour les coopérateurs de pouvoir compter sur une personne externe chargée de raconter leur histoire et d’offrir probablement de nouvelles perspectives et les raisons de louer ce qu’ils font.

S : En fin de compte, on pourrait voir cela comme une sorte de résultat inattendu de notre projet. Les commentaires des gens impliqués nous ont fait comprendre que nous en faisions davantage qu’une simple vidéo participative. L’activité elle-même [les activités de recherche-action participative] a eu un effet sur les coopérateurs. Cela s’est passé au Rwanda, au Maroc, au Népal … Les gens disaient : « Nous faisons des tas de choses mais nous ne les apprécions guère » ou « je n’avais pas entendu parler de ces histoires émanant d’autres membres ». Fort de mon expérience antérieure dans le mouvement coopératif, j’avais le sentiment que les coopérateurs en faisaient beaucoup, mais ils s’arrêtent peu en général pour prendre du recul et s’auto-évaluer. C’est pourquoi nous venons de décider, en concertation avec l’équipe d’aroundtheworld.coop, de fournir un service pour faciliter l’auto-évaluation et la communication interne au sein des coopératives.

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Il n’est pas facile d’aborder les gens et de les mettre à l’aise face à la caméra. Quels sont vos astuces pour y parvenir ?

A : L’essentiel consiste à établir des relations de confiance avec les gens. Les respecter. Les mettre à l’aise et leur permettre de s’approprier le sens de ce qu’ils font. Nous passons généralement quelques semaines dans la coopérative avant le tournage, nous devenons amis et cette amitié est respectée. Parfois, au cours de l’entretien, ils ont du mal à cacher leur émotion face à la caméra, parfois ils pleurent. Quand cela arrive, nous coupons la caméra parce que nous ne voulons pas faire de sensationnel. Ce n’est pas du tout notre but.

S : Là encore, je pense que la méthodologie fait toute la différence. Nous passons du temps avec eux, nous mangeons ensemble, nous buvons, nous vivons ensemble pendant des jours. Nous souhaitons créer des liens avec eux. À la fin, il en résulte que les gens ouvrent leur cœur parce qu’ils nous font confiance, et qu’ils comprennent que ce qu’ils disent est bon pour eux-mêmes et leur coopérative.

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Sur le plan cinématographique, aviez-vous une référence en tête (par exemple, un réalisateur, un court ou long métrage, ou une série de films) ?

A : Avant de partir, j’ai regardé la série Sense8 et j’y ai pensé pendant le voyage. L’histoire parle de huit êtres humains qui sont connectés mentalement et physiquement, et qui partagent les connaissances, les compétences et les langues. Au cours du voyage, je me suis rendue compte d’une certaine façon que les coopérateurs rencontrés dans le monde entier étaient semblables aux personnages de Sense8 et qu’ils partageaient des valeurs et des principes communs.

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Vous avez visité un large éventail de coopératives dans des secteurs et régions très variés. Est-il possible selon vous d’identifier des défis communs auxquels elles sont confrontées ? Si oui, lesquels ?

S : Lorsqu’on parle de défis communs, je pense qu’il y a un aspect qui est à la fois la valeur ajoutée des coopératives et le défi majeur auquel font face les coopératives, celui de travailler ensemble.

Préserver un leadership horizontal et veiller à ce que chacun partage une vision commune, inspirée par les mêmes valeurs, n’est pas facile. Un coopérateur en Californie [du Cheese Board Collective] nous a dit un jour : « On a du mal à comprendre comment un individu doté d’une énergie destructrice pouvait faire dérailler tout le projet ». Il a souligné l’importance pour les coopératives de sélectionner les gens de manière pertinente et de développer différents systèmes, comme les systèmes de gouvernance, ou le renforcement des capacités, pour relever ces défis. D’autre part, lorsque cet aspect de la démocratie fonctionne parfaitement, il constitue une véritable valeur ajoutée pour les coopératives. Ceci dit, faire en sorte que cela fonctionne constitue un immense défi.

Qu’est-ce qui pousse les gens à créer/rejoindre une coopérative ? La plupart des membres savaient-ils ce qu’est une coopérative avant de la rejoindre ?

S : Les étapes initiales dans toutes les histoires que nous avons documentées proviennent du désir de changement au sein d’un groupe; ce n’est pas nécessairement le souhait de créer une coopérative. À mon avis, l’une des clés du succès est la motivation commune : les gens se rassemblent parce qu’ils veulent changer les choses et souhaitent agir ensemble. L’autre élément est qu’ils cherchent à créer quelque chose de pérenne, quelque chose de durable.

Ensuite, l’environnement propice (les réseaux, les organismes fédérateurs, les contacts, d’autres coopératives …) permet à ces premiers pas concrets de devenir une entreprise coopérative collective importante. Les deux éléments sont étroitement liés. Il est très difficile pour un véritable mouvement de continuer sans soutien ou structure et, d’autre part, vous ne pouvez créer une coopérative si vous n’avez pas de groupe qui se réunit de façon proactive avec une vision et une mission clairement définies.

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Vous avez rencontré et entendu un grand nombre de coopérateurs dans le monde entier. Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés lors de ce périple ?

S : Nous avons pu mettre en avant de nombreux enseignements, et souhaiterions insister sur deux aspects : l’innovation et le leadership. Ce périple réaffirme notre position selon laquelle l’innovation se produit sur le terrain et qu’elle est portée par les communautés. Celles-ci connaissent les défis auxquels elles font face, et envisagent les moyens de les surmonter. Lorsque ces initiatives prennent la forme d’une entreprise coopérative, elles débouchent souvent sur une démarche durable et novatrice qui mérite d’être partagée avec le monde afin d’inspirer d’autres communautés. La plupart des récits que nous avons documentés ont ce pouvoir ! Concernant le deuxième aspect, ces histoires n’auraient pas lieu d’être sans individus visionnaires et résilients qui prennent les devants et transforment des idées en une entreprise durable. Ces gens sont particuliers; ils sont capables non seulement de diriger mais aussi de développer un leadership horizontal, dans lequel chacun est invité à participer et à faire entendre sa voix. Nous avons constaté que cet aspect faisait la différence pour un projet coopératif véritablement porteur de changement !

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Lors d’une précédente interview accordée à #coops4dev, vous aviez indiqué vouloir contribuer à inverser le récit morose dominant dans les médias en évoquant les initiatives constructives et collectives concluantes qui se déploient à travers le monde et demeurent inconnus de la plupart des citoyens. Dans le contexte actuel inhabituel de la crise sanitaire et économique mondiale, pensez-vous que ces histoires sont plus que jamais nécessaires aujourd’hui ?

S : Certainement. Les coopératives et les initiatives d’actions collectives en général ont un rôle important à jouer pour contribuer au développement durable. Notre projet a montré de nombreux exemples à cet égard. Elles constituent un puissant moyen d’œuvrer simultanément pour couvrir les trois dimensions du développement durable, à savoir sociale, économique et environnementale. La pandémie a montré à tout le monde que la coopération et la défense du bien commun étaient plus nécessaires que jamais aujourd’hui. L’alternative au courant dominant doit être partagée avec la société dans son ensemble. Et il est certain que nous souhaitons continuer de contribuer à cet effort.

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Ce voyage vous a sans doute permis de vivre de nombreux moment émouvants. Mais y-a-t-il une image en particulier (par exemple, l’un de ces instantanés mentaux qui demeurent dans votre esprit des années durant après un voyage important) que vous retenez de ce périple ? 

S : C’est difficile à dire, parce qu’il y en a des tas. Mais nous nous souviendrons probablement d’une interview incroyable réalisée en Australie. Nous nous trouvions à l’endroit le plus éloigné géographiquement de chez nous, et nous venions à peine d’écouter l’histoire la plus incroyable et la plus douloureuse qu’un être humain puisse supporter. Dans la dignité de ce membre, nous avons vu tous les membres que nous avions rencontrés pendant notre voyage.

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Le Partenariat ACI-UE pour le développement international (également connu sous le nom de #coops4dev) a été signé en 2016 entre l'Alliance coopérative internationale et la Commission européenne pour renforcer le mouvement coopératif en tant qu'acteur clé du développement international.

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Author:
#coops4dev

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